
Une des phrases que j’entends le plus le plus lorsque je rencontre un nouveau client pour la première fois c’est : « J’ai peur de me blesser si je n’ai pas une bonne posture. »
Que ce soit lors des activités quotidiennes ou d’un entraînement non supervisé, cette crainte est ancrée en nous dès notre plus jeune âge. On nous parle constamment de posture pendant l’adolescence et on l’invoque fréquemment pour expliquer diverses douleurs à l’âge adulte.
Pourtant, plusieurs études ont examiné le lien entre posture et douleur sans trouver de preuve concluante. Aucune corrélation claire n’a été démontrée entre la posture et les douleurs au dos, aux épaules ou au cou. Par exemple, Laird & al (2016) n’ont observé aucune différence significative dans la lordose lombaire (courbe du dos) entre les personnes souffrant de douleurs au dos et celles qui n’en ont pas. Il est donc impossible d’affirmer qu’une caractéristique posturale normale chez une personne asymptomatique puisse être la cause de la douleur chez une autre.
Une évaluation posturale limitée
On se doit également de considérer deux facteurs importants.
Premièrement, lorsqu’évaluée en milieu clinique lors d’une évaluation posturale debout, la lordose serait d’environ 33,3 degrés. Pourtant, sur une journée complète de 24h, la moyenne observée est de 8 degrés (Dreischaf & al., 2016). Cette différence suggère qu’une évaluation ponctuelle en clinique ne permet ni de prédire, ni de gérer efficacement la douleur.
Pourtant, l’idée qu’une augmentation de la courbure lombaire entraîne des douleurs est souvent couplée à l’idée que l’antéversion pelvienne accentue cette courbure lombaire. Notre deuxième facteur analyse l’évaluation de cette antéversion qui est mesurée de manière beaucoup plus rudimentaire en observant l’alignement des repères au niveau du bassin. Or, Preece & al. (2008) ont démontré que la morphologie pelvienne varie considérablement d’une personne à l’autre, ce qui rend ces mesures peu fiables.
Ces observations nous permettent également de remettre en question l’obsession de vouloir « relâcher » le psoas, comme si ce muscle avait une influence importante sur l’antéversion du bassin et les douleurs lombaires. Ce sera pour un autre article.
Et l’épaule dans tout ça?
Prenons maintenant l’exemple de l’épaule. Plummer & al ont étudié la dyskinésie (postures et mouvements « anormaux ») scapulaire, souvent désignée par les cliniciens comme une cause potentielle de la douleur à l’épaule. En comparant 67 personnes ayant de douleurs à l’épaule et 68 personnes asymptomatiques, ils n’ont trouvé aucune différence notable dans la posture ou les mouvements de l’épaule entre les deux groupes.
Encore plus fascinant, les chercheurs ont également évalué les évaluateurs eux-mêmes. Lorsqu’ils savaient que la personne ressentait une douleur, ils identifiaient un plus grand nombre d’anomalies posturales ou de mouvements « anormaux ». Autrement dit, notre perception de la posture est biaisée lorsque nous sommes informés d’une douleur. Les auteurs suggèrent également que la « dyskinésie » scapulaire est en fait une variabilité normale chez les êtres humains.
Si en tant que cliniciens, nous pensons être meilleurs que ceux qui participent aux recherches, et immunisés contre ce genre de biais, nous nous mettons des œillères. Remettre en question nos croyances fait de nous de meilleurs cliniciens.
Finalement, la posture est un résultat, et non une cause, de la douleur. Il n’existe pas de posture parfaite et indolore. Notre posture est influencée par notre mode de vie et non l’inverse. Plutôt que de chercher à corriger la posture à tout prix, adaptons nos habitudes de vie avec des outils concrets pour observer de réels changements à long terme.
Bibliographie
Laird, R.A., Kent, P. & Keating, J.L. How consistent are lordosis, range of movement and lumbo-pelvic rhythm in people with and without back pain?. BMC Musculoskelet Disord 17, 403 (2016). https://doi.org/10.1186/s12891-016-1250-1
Dreischaf, M., Pries, E., Bashkuev, M., Putzier, M. & Schmidt, H., Differences between clinical “snap-shot” and “real-life” assessments of lumbar spine alignment and motion – What is the “real” lumbar lordosis of a human being? J of Biomech, Volume 49, Issue 5, p. 638-644 (2016) https://doi.org/10.1016/j.jbiomech.2016.01.032
Preece, S., Willian, P., Nester, C., Graham-Smith, P., Herrington, L. & Bowker, P., Variation in Pelvic Morphology May Prevent the Identification of Anterior Pelvic Tilt, J Man Manip Ther, 16(2):113-7 (2008), PMID: 19119397
Plummer, H., Sum, J., Pozzi, F., Varghese, R. & Michener, L., Observational Scapular Dyskinesis: Known-Groups Validity in Patients With and Without Shoulder Pain, J of Ortho & Sports Phys Ther, Volume 47, Issue 8, p. 530-537 (2017) https://www.jospt.org/doi/10.2519/jospt.2017.7268
Gabriel Boyer
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